« C’est parce que les femmes agissent que la civilisation évolue et Tsippora fait partie de ces femmes-là. »
Lorsque Murielle Szac raconte la genèse de son nouveau feuilleton, elle embarque son lecteur dans une formidable épopée qui se déroule aux premiers temps de l’humanité. Transmission, femmes, littérature, humanité, valeurs, interprétation, amour…
Murielle Szac nous dit tout ce qui lui tient à cœur.
L’interview exclusive de Murielle Szac
Pouvez-vous nous présenter Le feuilleton de Tsippora en quelques mots ?
Tsippora est une jeune femme à la peau noire, qui vit parmi les nomades du désert. Son destin bascule lorsqu’elle rencontre un étranger de passage nommé Moshé (alias Moïse), qui fuit l’Égypte où il a grandi. Guidée par l’amour, la soif de liberté et le désir de connaissance, Tsippora s’engage corps et âme à ses côtés dans l’étonnante mission que lui a confiée le dieu Yahvé : libérer son peuple de l’esclavage. En liant sa vie à celle de Moshé, elle se retrouve embarquée dans une formidable épopée qui retrace les débuts de l’humanité.
Votre travail portait jusqu’à aujourd’hui sur les figures mythologiques grecques. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous emparer des récits bibliques ?
Je n’aurais peut-être jamais osé les aborder sans la rencontre avec la lumineuse rabbine Delphine Horvilleur. C’est elle qui m’a dit et maintenant, si tu t’attaquais à la Bible, chiche ? J’ai une passion pour les récits fondateurs, mais j’étais un peu intimidée par toutes les croyances qui y sont attachées, je ne voulais pas les heurter et pourtant je voulais m’y attaquer avec la même liberté que celle que j’avais prise avec la mythologie. C’est encore Delphine qui m’y a encouragée, en me disant que les interprétations successives étaient depuis toujours ce qui faisait vivre ces textes. J’ai donc osé me les approprier en me demandant ce qu’ils pou- vaient apporter aux enfants d’aujourd’hui : de la même manière que les mythes grecs, ils aident à penser et comprendre le monde. Les aventures fabuleuses des héros de la Bible nous conduisent à réfléchir aux questions que tout être humain se pose, sur l’origine de la vie, l’amour, le courage, la vengeance, la solidarité, la responsabilité… Dès lors, il y a nécessité à les mettre à disposition de tous les enfants.
Pourquoi avoir donné la parole à Tsippora plutôt qu’à Moïse ? Pouvez-vous nous la présenter ?
La voix des femmes de la Bible a été totalement éclipsée pendant des générations. C’est pour pallier ce silence que j’ai souhaité choisir une femme comme personnage fil conducteur. Son regard, pour traverser les grands épisodes bibliques ne peut évidemment pas être le même que celui d’un homme. Avec Tsippora, qui fera alliance avec d’autres femmes de la Bible comme Sarah, Batya, Ève ou Esther, c’est une histoire nouvelle qui surgit. J’ai souhaité que mon héroïne soit une femme de caractère toujours prête à questionner, douter, chercher à comprendre et agir. Qu’elle soit de celles qui font basculer l’Histoire. Pour moi, sans cette femme que j’ai voulu solaire et généreuse, jamais Moshé ne serait parvenu au bout de sa mission. C’est aussi un récit sur la force de l’amour.
Vous avez choisi de raconter un récit biblique. Dans quelle mesure votre démarche est profondément laïque ?
J’ai été élevée dans un milieu cultivé et résolument laïc. Je n’ai découvert la Bible que par le biais de la peinture, la sculpture et la littérature. Ce texte m’a toujours intéressée pour ce qu’il comporte de contenus symboliques et parce qu’il est l’un des fondements de notre civilisation. Je me désole qu’il ait été en partie confisqué par ceux qui confondent le sacré avec l’intouchable, et me désole tout autant qu’il soit méprisé ou passé sous silence par ceux qui rejettent les religions. Entre texte gravé dans le marbre et texte méprisable jeté aux orties, il y a un espace énorme, dans lequel j’ai tenté de me glisser. Je crois aussi profondément que l’appropriation par tous et toutes de ces histoires est indispensable : pourquoi faudrait-il laisser les textes religieux aux mains des seuls croyants ?
La question de l’interprétation est au cœur de ce travail d’écriture. Comment l’avez-vous abordée ?
On ne peut pas prendre la Bible au pied de la lettre, c’est même un contre-sens total. D’une part, les traductions d’une langue polysémique proposent déjà de multiples interprétations, souvent aux antipodes les unes des autres. D’autre part, ce texte est rempli de passages ambigus, contradictoires ; quand ils ne sont pas carrément incompréhensibles. Je revendique ma subjectivité, et mes choix. J’ai exercé ma créativité littéraire en toute liberté, sur un texte passionnant qui nous invite tous et toutes à en faire une lecture buissonnière.
Le feuilleton de Tsippora s’inscrit dans une démarche qui embrasse l’ensemble de votre travail. Pouvez-vous la résumer en quelques mots-clés ?
Le Feuilleton de Tsippora s’inscrit effectivement dans la continuité et la cohérence de tout ce que je porte. Le fil rouge de mon travail se résume en un mot : transmission. Transmettre pour ouvrir la boite aux questions, la réflexion, pour créer du sens et réintroduire du symbolique dans un monde qui en manque désespérément. Partager entre générations, des récits qui nous aident à dialoguer, à nous interroger sur les valeurs, les combats à mener pour un monde plus juste et plus solidaire. Éclairer notre présent à la lueur d’hier, pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui. J’écris pour offrir un chemin de liberté à mes lecteurs, petits et grands.