Dix questions à Edyth Bulbring, auteur du roman « La nouvelle vie d’April-May »
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Les personnes que je croise tous les jours, comme Trevor et Phineus, mes maçons. Il y a aussi Louisa, une vieille couturière portugaise qui a confectionné la robe de bal de fin d’études secondaires de ma fille. Outre les gens que je viens de citer, ce sont surtout ceux que j’aime le plus au monde qui nourrissent mon écriture – autrement dit, ma famille. Mes deux ados de filles et mon fils me rendent souvent folle, mais le reste du temps, je suis impressionnée par leur humour, leur intelligence et leur gentillesse. Je puise également mon inspiration dans ce que me dit le père de mes enfants. Des phrases comme : « Tu pourrais écrire un livre qui rapporte un peu d’argent, quand même ! » ou : « Si tu n’arrives pas à écrire un livre qui se vend, tu pourrais peut-être apprendre à faire la cuisine ? »
Ce genre de réflexions est très stimulant.
Quel a été le moment le plus marquant de votre carrière ?
Le jour où j’ai appris qu’un éditeur acceptait de publier le deuxième livre que j’avais écrit, « The Summer of Toffie and Grummer » (éditions OUP, Afrique du Sud), je n’ai pas fait la fête. J’ai pleuré. J’avais déjà quatre romans à mon actif, et comme personne n’en voulait, je me trouvais totalement nulle. Donc j’ai été vraiment soulagée. Quand mes autres livres ont été publiés par la suite, j’ai été doublement rassurée et j’ai pleuré de plus belle.
Qu’est-ce qui vous a amenée à être écrivaine ?
Parallèlement à mes études en histoire et politique, j’étais standardiste à temps partiel dans un journal. Comme je n’étais vraiment pas douée pour ce travail, ils m’ont laissée écrire quelques textes. J’ai terminé correspondante politique du Sunday Times, un quotidien sud-africain. Mais entre-temps, trois bébés étaient nés. Mon métier de journaliste s’accordant mal avec ma vie de famille, j’ai décidé d’arrêter afin de m’occuper de mes enfants. Je ne savais pas trop quoi faire pendant qu’ils étaient à l’école, alors je me suis mise à leur écrire un livre. Aucun éditeur n’en a voulu, mais ça ne m’a pas empêchée d’en écrire quelques autres qui ont été publiés par la suite. Franchement, je n’avais pas l’ambition de devenir auteure, je voulais juste raconter des histoires amusantes à mes enfants. Une manière de rester connectée à eux. Voilà pour quoi j’écris des livres. Pour consolider mes souvenirs. Raconter des histoires sur les personnes que j’aime. Mes livres sont dédiés à mes enfants. Ce sont des lettres d’amour qui, je l’espère, maintiendront nos liens.
Quel métier vouliez-vous faire au départ ?
Je rêvais d’être hôtesse de l’air et de voyager dans le monde entier. Mais à l’époque, il fallait être très grande et très jolie. Je n’étais ni l’une ni l’autre.
Quel conseil donneriez-vous à de jeunes auteurs ?
J’ai quelques règles. J’adore les règles. Elles donnent un semblant d’ordre à ma vie. La première règle, donc, c’est de lire, lire, lire et lire encore et encore. On ne peut pas écrire si on ne lit pas. La deuxième règle, c’est de tenir un journal. Sur les choses qui vous font rire ou pleurer, vos rencontres, ce que vous avez entendu, certains détails qui pimentent vos journées. C’est du bon matériau pour un futur livre. Je tiens un journal depuis très longtemps. Quand j’étais enceinte de mon premier bébé, j’étais tellement persuadée que j’allais mourir durant l’accouchement que j’ai jeté à la poubelle tous mes cahiers de peur que quelqu’un les lise. Aujourd’hui, je regrette mon geste. La troisième règle, c’est d’écrire tous les jours – dans votre journal, dans un blog ou sur Facebook. Cela vous aidera à trouver votre style. La quatrième règle, c’est de ne pas écouter les avis et les conseils. Ecrivez ce que vous voulez écrire. Ce sont vos histoires, n’essayez pas d’écrire celle d’un autre. Enfin la dernière règle : respectez vos lecteurs. Ne leur mentez pas, ne trichez pas, ne leur servez pas d’idioties.
Quel était votre livre préféré, étant enfant ?
Je lisais tout ce qui me tombait sous la main, sans me soucier du nom de l’auteur. J’ai lu tous les livres de la bibliothèque de ma mère et de mes sœurs. Des livres souvent nuls, parfois géniaux. J’avalais tout, un vrai glouton. A vrai dire, mon goût pour la lecture ne vient pas d’un livre en particulier, mais des journaux. Chaque matin, je me glissais dans le lit de mes parents pendant qu’ils lisaient le journal. Je posais le doigt sur une photo, et mon père me la commentait. C’était des moments merveilleux. Non, je vous raconte n’importe quoi ! En fait, mon père grognait : « Pour l’amour du ciel, laisse-moi lire mon journal tranquille ! » J’avais hâte de pouvoir déchiffrer les textes qui accompagnaient les images. Je pense que c’est cela qui a motivé mon goût pour la lecture.
Enid Blyton, Roald Dahl et Willard Price étaient mes auteurs préférés quand j’étais petite. Mais celui qui m’a réellement marquée, car il écrit aussi bien pour les adultes que pour les jeunes, c’est Philip Pullman. J’ai adoré A la Croisée des Mondes, une trilogie que j’ai lue à l’âge adulte. Ces romans-là ont à mes yeux l’énorme qualité d’être des livres-passerelles, à l’instar de Anne… La maison aux pignons verts, de Lucy Montgomery. J’ai essayé de le faire lire à mes filles, mais elle n’ont jamais voulu. Cela me navre. Je sais bien que je serais probablement déçue si je le relisais à l’heure actuelle, mais à l’époque ce livre m’a captivée. De là me vient sans doute mon petit faible pour les filles aux cheveux roux.
Quels sont vos endroits de prédilection pour écrire ?
J’en ai deux. Le premier, chez moi à Johannesburg, dans une espèce de bureau qui donne directement sur la rue. Il m’est plus facile d’écrire quand il y a de l’animation autour de moi. Une fois installée à ma table, je me plonge souvent dans le projet d’extension de la maison ou bien de réaménagement du jardin – supprimer les anciens massifs et en planter de nouveaux. Du coup, il y a toujours un vrai va-et-vient, ça tape, ça cogne, les maçons (Trevor et Phineus) me demandent de commander du sable et des briques, ce qui m’enthousiasme au plus haut point. Tous les jours, nous bavardons de choses et d’autres autour d’une tasse de thé.
Le second endroit, c’est ma maison de campagne à Stanford, un village à deux heures du Cap. Chaque année, je m’y offre une semaine de retraite pour écrire, loin de mon mari et des enfants. J’apprécie particulièrement ces moments. Pas besoin de faire la cuisine, de me laver, ni de sortir de mon pyjama. Je me nourris de vieux Christmas cake, de peanut butter et de sandwiches au poisson. Quand j’ai envie de voir du monde, je vais acheter des chips et du Coca et je parle aux promeneurs de chien.
Quels sont vos supports de lecture – livres imprimés, tablette, ou les deux ?
J’aime l’encre et le papier. Il y a trois mois, on m’a offert une tablette pour mon anniversaire, mais je ne m’en suis pas encore servie. J’achète la plupart des livres à la librairie de l’Hospice, en bas de ma rue.
Qui admirez-vous le plus ?
Les gens qui inventent de magnifiques histoires. Il m’arrive de m’emballer à fond pour un écrivain dont je dévore les livres jusqu’à ce qu’un autre retienne mon attention, mais je reviens toujours à Jane Austen, qui ne me déçoit jamais. J’aime son ironie, son empathie. Et ses longues phrases. Je voudrais pouvoir écrire de longues phrases, très compliquées, et grammaticalement parfaites.
Sur un plan exclusivement « humain », j’admire mes deux filles et mon fils. Ils sont tout trois devenus de très belles personnes – malgré moi.
Y a-t-il des livres que vous souhaiteriez avoir écrits ?
Il y a une auteure que je place au-dessus de tout le monde : Harper Lee, qui n’a écrit qu’un seul roman dans sa vie, mais c’est le plus beau livre du monde. Quand je vois Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur dans une vente de charité, je l’achète. Je dois l’avoir en trente exemplaires, et ce n’est pas fini. Harper Lee me pousse à continuer d’écrire jusqu’à ce que j’y arrive.
In « A month with April-May », 2013